Aimé
c'est atrocement gracieux quand il marche, de la souplesse délicate et voluptueuse qui fait diluer le paysage, qui le fait se pâmer sous ses pas, sous ses gestes ; c'est des couleurs édulcorées qui font sourire les yeux, des cocons de senteurs florales qu'on sent avant de voir sur un tableau dépeint dans un délice de formes ondoyantes ; et ça chantonne une musique nébuleuse au creux des oreilles lorsque, enfin, il s'envole dans un souffle de battement d'ailes.
- t'es une fée, Aimé et tout ce qui va avec, tout ce qu'on traîne derrière soit quand on naît avec des ailes d'insectes au-dessus du cul.
jamais vraiment respecté ; on subi les moqueries, les coups, les clichés, la discrimination, l'humiliation ;
on a rarement vu quelqu'un aussi mal porter son nom qu'Aimé.
mais Aimé il n'en a plus rien à foutre ; maintenant, il se bat. Il a arrêté d'attendre qu'on le fasse pour lui, il a arrêté d'attendre que quelque chose ou quelqu'un vienne l'aider ; dans son attente instable et mortelle, un de ces jours où le mot « pédale » venait encore de lui frapper la joue, Aimé s'est levé et a cogné.
- non, UN fé.Aimé se bat en souriant ; et comme sa vie est un combat quotidien, alors il sourit tous les jours.
en luttant contre tout ce qui cloche autour de lui, tout ce qui l'horrifie, tout ce qui l'insurge ; et les pesticides ; et le racisme ; et l'élevage intensif ; et la discrimination de certains demis ; et la pollution ; et l'homophobie ; et le réchauffement climatique ; et la famine ; et la montée des eaux ; et la parité homme femme ; et les déchets dans la mer ; et la destruction de la forêt en Amazonie ; et puis merde laissez ces putains de baleines tranquilles.
c'est peut-être un peu abusif d'être affilié à autant de causes ; c'est un peu dur à suivre, pourtant y'a pas un jour sans qu'Aimé soit engagé dans un combat, et sans qu'il entraîne les gens avec lui. Aimé, il fait son armée, petit à petit, il fait sa propagande sur internet, il noie les passants sous des montagnes de tracts pour l'environnement (prospectus biodégradables, bien sûr) en grand orateur, il leur conte l'histoire d'un monde saturé de couleurs et de senteurs, il leur fait rêver du Jardin d'Eden, en artiste impérieux il vient composer dans leurs esprits le paysage utopique pour lequel il se bat,
pour lequel on voudrait tous se battre, à ses côtés.
on a jamais su si Aimé était simplement d'un altruisme abusif ou s'il voulait juste faire bonne figure, se donner un genre ; les hypocrites ça court tellement les rues. il est un peu grossier, même dans sa bienveillance Aimé il brûle tout ; il parle fort, il bombe le torse, le menton levé, il a pas peur, et t'as beau faire deux têtes de plus que lui, si t'oses t'en prendre à un demis Aimé va quand même venir te péter la gueule.
peut-être qu'il est juste con, en fait.
Mais peut-être que tout ce qu'on te crache à la gueule, c'est peut-être vrai finalement, peut-être que si on te dit tout ça, c'est pour une raison. c'est qu'Aimé aurait été prêt à tout pour faire entendre raison aux autres, qu'on l'écoute, qu'on le croit quand il dit que les stéréotypes sont dangereux, blessants, et il aurait été prêt à tout refouler, tout renier ; son amour des fleurs, son homosexualité, son véganisme, ses principes de vie ; pour le bien de toutes ces fées auxquelles on colle des étiquettes ; si ça peut aider à péter ces putains de clichés avec lesquelles on vous frappe au visage dans les rues de Paris.
pour le bien d'autrui, il aurait dit non à tout.
Il aurait joué un rôle, il aurait fait
comme-ci ; mais c'est que du rêve ça, Aimé sera jamais comédien
car le plus grand problème d'Aimé
c'est qu'il est juste
fatalement
lui-même
Aimé c'est une limpidité déconcertante qui éblouie un peu ;
Aimé est vrai, ça rendrait presque les autres malades de le voir baigner dans la franchise la plus simple, de sentir l'honnêteté suinter par tous les pores de sa peau, dans ses paroles toutes faites ;
Il sait à peine mentir, c'est peut-être pour ça qu'il arrive à faire en sorte qu'on croit en son combat ;
Et c'est si dur de le prendre au dépourvu, lui qui n'a de toute façon rien à cacher
Aimé rit et pleure simplement, il crie et frappe avec sincérité, et une touche de naïveté s'insinue parfois dans ses sourires bienveillant, lorsqu'il est persuadé de faire quelque chose de bien.
Aimé il n'est qu'Aimé finalement, et c'est peut-être ça qui le rend si dur à aimer.